Maurice Couturier, Maître de Conférences à la Faculté de Nice, a été responsable de l’édition des romans de Vladimir Nabokov qui parut dans la bibliothèque de la Pléiade, trois volumes successifs, en 1999, 2010 et 2021. Or, nous savons que Nabokov est né en 1899 à Saint- Petersbourg, dans une famille aisée, qu’il a ensuite émigré, en Angleterre, à Berlin, en France, avant de partir aux Etats-Unis en 1940. Il a donc écrit en Russe, puis en Anglais, et il a maintes fois révisé et réédité ses textes. Il est mort en 1977 à Montreux. Réaliser cette édition, avec son cortège de notes et de notices, a donc été un travail considérable. Il faut ajouter à cela que le père de Nabokov fut assassiné en 1923 lors d’un attentat perpétré au sein de la petite société des Russes blancs qui se trouvait à Berlin. Vladimir Nabokov rencontra sa future épouse, Véra Esvéïvna Solim, d’origine juive, à 24 ans. Il fut l’homme d’une seule femme.
Le présent ouvrage expose la vie et la carrière de Maurice Couturier, né en 1939 en Vendée, et dont l’existence s’est trouvée peu à peu orientée par l’œuvre et la vie du grand écrivain, au cours de ses séjours aux Etats-Unis et de sa progression dans ses études littéraires. Cette trajectoire pourra intéresser la discipline psychiatrique qui a rencontré les mêmes tentations puis a effectué le même recul que Maurice Couturier par rapport aux modes littéraires et philosophiques des années 70. Mais son expérience littéraire concernant un auteur qui a concentré une partie de ses œuvres à la sexualité est intéressante.
Maurice était le quatrième enfant d’un père fermier catholique et vendéen, ayant vécu à la ferme dans un milieu archaïque, traditionnel, peu instruit, mais travailleur et rigoureux. Les connaissances médicales et scientifiques étaient limitées, l’électricité ne parvint qu’en 1951, Maurice qui se cassa le fémur vers six ans fut l’objet d’une consultation par un rebouteux. Le catholicisme était strict, les enfants surveillés dans leur éveil à la sexualité. Sa mère lisait beaucoup, et des romans édifiants. Au collège catholique Notre-Dame de la Tourtelière, il fut pensionnaire, bon élève, bien éduqué par des prêtres affectueux et compétents, qu’il respectait et admirait. Il fut enseignant au CEG de la Chataigneraie, puis intégra l’Université Catholique d’Angers. Il y connut Yvonne Guillotin, épousée en 1965, mère d’Anne et de Françoise, bientôt sa collaboratrice ; séjours aux Etats-Unis, thèse de 3e cycle sur Zona Gale, Paris IV. Puis commencèrent ses travaux consacrés à Nabokov sous la direction d’André Le Vot ( Paris III ). Il passa son agrégation d’anglais en 1973, bientôt assistant à la Sorbonne. Il dut ensuite passer sa thèse de doctorat ès-lettres à la Sorbonne, en octobre 1976.
Les années 70 furent les années structuralistes, mais vivant aussi dans le monde politique pérennisé du SNES-SUP et des communistes. Le catholique Maurice Couturier, élève des écoles chrétiennes, fut cependant accueilli chaleureusement par Roger Asselineau, professeur de littérature américaine. André Le Vot fut son directeur de thèse et parmi les membres de son jury se trouvaient Michel Fabre, Régis Durand et Roland Barthes. Maurice Couturier fréquenta donc Jacques Lacan, Philippe Sollers, Julia Kristeva, Gérard Genette, Tzvetan Todorov, Jacques Derrida, Michel Foucault, Michel Serres, Claude Levi-Strauss, Algirdas Greimas.
C’était en vérité, pour reprendre le titre du roman de son ami David Lodge, mort le 1er janvier 2025, Un tout petit monde ( traduit par Maurice et Yvonne Couturier ). Notons que mis à part Greimas, aucun de ces brillants intellectuels n’était linguiste de profession. Impasse totale sur N.Chomsky, J.A. Fodor, W.V.O.Quine. La thèse consacrée aux romans du Russe blanc émigré aux Etats-Unis obtint la mention « Très Honorable avec félicitations du jury à l’unanimité. » On connait la suite : Barthes fit sa leçon inaugurale au Collège de France le 7 janvier 1977. Il mourut en 1980, Foucault mourut en 1984. Les années 90 seraient celles du cognitivisme, de l’ordinateur, de la philosophie analytique. Les recherches en psychologie allaient presque doubler celles de la psychiatrie. La linguistique est aussi une discipline scientifique.
Maurice Couturier, Maître de Conférences à Nice, continua son escalade respectueuse du massif Nabokov, éclairé par des best-sellers parfois inattendus, mais d’une richesse poétique et d’une créativité exceptionnelles. Une question se pose alors : ayant mis à distance les outils usés de la nouvelle critique, il fallait une autre méthode d’approche des textes littéraires. Suivant les tendances ultérieures, il fréquenta le post-modernisme, plus ludique et détendu, s’approchant d’écrivains du XVIIIe siècle, Laurence Sterne, Henry Fielding, Denis Diderot. Surtout à l’égard de Nabokov, il privilégia une approche poétique : « L’exigence poétique. »
Inévitablement, la vague d’accusations contemporaines dénonçant la pédophilie – et la juvénophilie – a fini par toucher Nabokov, auteur de Lolita. Ce roman avait déjà connu la censure aux Etats-Unis en 1955, publié par Olympia Press à Paris en septembre de la même année. Il fut traduit et publié en France, chez Gallimard, en 1959. Il fallut donc à nouveau plaider cette cause en 2020.
Mais Nabokov avait déjà répondu à ces questions par deux romans, l’un antérieur, Chambre Obscure, rebaptisé Rires dans la nuit, l’autre postérieur, Arda ou l’ardeur. Margot, de Rires dans la nuit, est une manipulatrice, vite prostituée, cruelle et intéressée. Lolita, la collégienne déploie une psychologie beaucoup plus simple. Ada, qui a connu dans l’adolescence son cousin Van, est en fait intéressée. Mais cette saga familiale est aussi un drame complexe.
Mettons les choses au point. Une grande partie de la littérature de tous les temps dénonce les manipulations des hommes par les femmes, et certaines d’entre elles profitent de leur jeunesse. Mais une autre partie de la littérature est consacrée à des histoires d’amour, empruntes de beauté, de pureté, souvent présentées comme des récompenses après diverses épreuves. L’œuvre de Nabokov comporte aussi ces histoires d’amour – qui ont moins de succès. Une autre grande partie de la littérature dénonce les attitudes dominatrices et perverses des hommes à l’égard des femmes, et des enfants.
Le livre de Maurice Couturier, et son travail d’éditeur des œuvres de Nabokov dans la Pléiade, se garde bien de classer cet écrivain majeur du XXe siècle – il est détestable de voir souvent les critiques rapprocher ou opposer un écrivain à un autre. Nabokov demeure seul, inégalé, incomparable.
Quentin Debray
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